Compte-rendu et analyse du voyage œcuménique du pape en Suède
I. Compte-rendu du voyage
A l’occasion de la célébration du 5e centenaire de la Réforme luthérienne, le pape François s’est rendu le 31 octobre 2016 pour un voyage de deux jours en Suède, où il participa à deux événements œcuméniques dans les villes de Lund et de Malmö (sud du pays). Lors d’un entretien accordé le 24 septembre au jésuite suédois Ulf Jonsson dans la revue Civiltà Cattolica, le pape a précisé que son rôle de « pasteur » l’a conduit à modifier son programme en ajoutant une journée, le 1er novembre, pour célébrer la messe à la demande des catholiques suédois.
François a été accueilli à l’aéroport de Malmö par le nonce apostolique Mgr Henryk Józef Nowacki, le Premier ministre suédois Stefan Löfven et le ministre de la Culture et de la Démocratie Alice Bah-Kuhnke, ainsi que des représentants de la Fédération Luthérienne Mondiale (FLM). Le Souverain Pontife était accompagné du cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d'Etat du Saint-Siège, et du cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l'Unité des Chrétiens.
A 14h30, le pape François a participé à une prière œcuménique dans la cathédrale luthérienne de Lund, où il a prononcé devant 450 personnes une homélie sur l’unité des chrétiens. Citant en introduction les paroles de Jésus à la dernière Cène : « Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15, 4), le pape a rappelé que « nous devons être unis au Père, si nous voulons porter du fruit ». Il a ensuite voulu associer les luthériens dans le « désir commun de rester unis à lui pour avoir la vie », en remerciant Dieu de voir « tant de nos frères, de différentes communautés ecclésiales, qui ne se sont pas résignés à la division ». « Notre division, a déclaré François, a été historiquement perpétuée plus par des hommes de pouvoir de ce monde que par la volonté du peuple fidèle ». La Réforme a été imposée par la force en Suède, pour des raisons politiques, déclarait le P. Ulf Jonsson dans la Civiltà Cattolica, à l’occasion de son entretien avec le pape. La Réforme luthérienne assurait au roi Gustave Vasa le contrôle de l’Eglise, lui permettant de disposer de ses terres et de ses revenus. Aujourd’hui encore, précisait le jésuite, l’Eglise luthérienne est gouvernée par un synode général, dont les membres sont élus par les partis politiques.
« Avec gratitude, nous reconnaissons que la Réforme a contribué à mettre davantage au centre la Sainte Ecriture dans la vie de l’Eglise », a poursuivi François. « Jésus intercède pour nous comme médiateur auprès du Père et il lui demande l’unité de ses disciples ‘pour que le monde croie’ (Jn 17, 21) », a-t-il expliqué. « C’est le témoignage que le monde attend de nous », a justifié François. « Nous, [Catholiques et Luthériens], serons un témoignage de la miséricorde en vivant quotidiennement le pardon et la réconciliation ». « Sans ce service au monde et dans le monde, la foi chrétienne est incomplète », a-t-il affirmé.
A la fin de la cérémonie, une déclaration commune a été signée, mentionnant que « beaucoup de membres de nos communautés aspirent à recevoir l’Eucharistie à une même table, comme expression concrète de la pleine unité ». « Nous prions Dieu afin que les catholiques et les luthériens soient capables de témoigner ensemble de l’Evangile de Jésus-Christ, invitant l’humanité à écouter et à recevoir la bonne nouvelle de l’action rédemptrice de Dieu. » Catholiques et Luthériens s’engagent à progresser dans cette direction.
A 16h40, le pape a rejoint le stade Arena de Malmö, situé à 28 km, où il prononça un discours et rencontra ensuite les différentes délégations œcuméniques. Longuement ovationné, il se trouvait aux côtés de Mounib Yonan et du pasteur Martin Junge, respectivement président et secrétaire de la Fédération luthérienne mondiale, créée en 1947 à Lund, et qui regroupe 145 confessions protestantes, ainsi que du cardinal Kurt Koch. Dans son discours prononcé devant près de 10.000 personnes, le pape François a déclaré rendre grâce à Dieu pour cette commémoration conjointe des 500 ans de la Réforme, et souligné que l’unité des chrétiens est une priorité, parce que « ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous sépare ».
Le lendemain 1er novembre, le Saint-Père a célébré la messe de la Toussaint en plein air au stade Sweban à Malmö, à la demande des fidèles catholiques suédois, avant de reprendre l’avion pour Rome. En effet, aucune messe publique n’était prévue à l’origine pour ce voyage apostolique, qui se voulait avant tout œcuménique.
Au cours de son homélie prononcée devant 15.000 personnes, dont des délégations œcuméniques, le pape François a médité sur la sainteté qui consiste à « vivre fidèlement et chaque jour les exigences du baptême », en soulignant que les « béatitudes sont la carte d’identité du chrétien », particulièrement celle des « Bienheureux les doux ». Car « la douceur nous rapproche de Jésus et nous unit entre nous ; elle nous permet de laisser de côté tout ce qui nous divise et nous oppose », « pour avancer sur le chemin de l’unité » [avec nos frères séparés].
Dans l’avion du retour, le pape François a voulu distinguer ses initiatives dans le cadre du dialogue entre catholiques et membres des autres religions, de ses « initiatives de réparation et de demande de pardon », comme aux charismatiques de Caserta et aux vaudois de Turin, « parce qu’une partie de l'Eglise catholique n'a pas agi d'une manière chrétienne, bonne, à leur encontre et qu’il y avait à demander pardon et à guérir une blessure ».
Le pape a par ailleurs opéré une distinction entre réfugiés et immigrés. « parce qu’immigrer est un droit, mais un droit très régulé. En revanche, le réfugié vient d’une situation de guerre, d’angoisse, de faim, d’une situation terrible, (…) et a besoin de plus de soin. » « En théorie, a poursuivi le pape, vous ne pouvez pas fermer votre cœur à un réfugié, mais il faut aussi la prudence des dirigeants (…) selon la capacité d’intégration du pays ».
Cinq mois avant sa visite en Suède, le dimanche 5 juin 2016, le pape François avait canonisé la religieuse suédoise Marie Elisabeth Hesselblad (1870-1957), luthérienne convertie au catholicisme en 1902. Entrée en 1904 chez les carmélites à Rome, elle prend, avec une permission spéciale du pape Pie X, l’habit de l'ordre fondé par sainte Brigitte de Suède en 1363. Elisabeth Hesselblad a reconstitué l'ordre des brigittines à Rome en 1911, puis en Suède en 1923. Béatifiée en avril 2000 par Jean-Paul II, elle fut déclarée "Juste parmi les Nations" en 2004 pour avoir sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, à Rome.
II. Analyse des déclarations du pape par un vaticaniste
Pour mémoire, rappelons l’affirmation du cardinal Gerhard Ludwig Müller que DICI citait il y a deux semaines (DICI n°343 du 28/10/16 ). Le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a, en effet, déclaré dans un livre d’entretiens, publié en mars 2016 par la maison d’édition espagnole BAC et intitulé "Informe sobre la Esperanza" (Rapport sur l’espérance) : « Nous, les catholiques, n’avons aucune raison de célébrer le 31 octobre 1517, la date qui marque le début de la Réforme et qui mena à la rupture du christianisme occidental. » Et de préciser plus loin : « Si nous sommes convaincus que la révélation divine est restée inchangée et préservée à travers les Ecritures et la Tradition, dans la doctrine de la foi, dans les sacrements, dans la constitution hiérarchique de l’Eglise, fondée sur le sacrement de l’ordination sacerdotale, nous ne pouvons accepter qu’il existe des raisons suffisantes pour se séparer de l’Eglise. »
En clair, s’il n’y a pas « de raisons suffisantes pour se séparer de l’Eglise », il faut tout simplement y retourner quand on a eu le malheur de s’en détourner. Ce qui implique, contrairement à ce qu’a affirmé François en Suède, que la Réforme protestante à laquelle le concile de Trente a répondu doctrinalement, ne peut se réduire à une lutte de pouvoir politique ; et qu’un témoignage commun de la foi ne peut être donné, en toute vérité, par des Catholiques et des Protestants qui rejettent précisément la doctrine de la foi (en particulier sur la Vierge Marie), les sacrements (dont ceux de l’ordination et de l’eucharistie), et la constitution hiérarchique de l’Eglise catholique.
Le 3 novembre 2016, le vaticaniste Sandro Magister analysait sur son site Chiesa la célébration par le pape François du 500e anniversaire de la Réforme protestante. En voici les extraits les plus significatifs :
La doctrine, les sacrements, la mission. Ce sont les trois sujets critiques que le pape François a abordés et traités à sa manière lorsqu’il a célébré, aux côtés des luthériens, à Lund, le 31 octobre, le 500e anniversaire de la Réforme protestante.
Doctrine
Dans le domaine de la doctrine, François a tranquillement présenté comme un point acquis le fait que la question de la "justification", qui était considérée comme le principal sujet de divergence entre les Catholiques et les Protestants, est complètement dépassée.
A proprement parler, cependant, lorsque les Catholiques et les Luthériens ont signé conjointement, en 1999, un accord à propos de cette question, tous les obstacles n’ont pas été aplanis pour autant. L'accord ne portait pas "sur les vérités", toutes les vérités, de la doctrine de la justification, mais seulement "sur des vérités" de celle-ci, partielles. (…)
Tandis que, maintenant, le communiqué conjoint catholico-luthérien qui a précédé le voyage du pape à Lund a été au-delà de cette distinction et a hâtivement présenté l’ensemble de la querelle comme dépassé et classé :
« La Déclaration [de 1999] a annulé des querelles vieilles de plusieurs siècles entre les Catholiques et les Luthériens à propos des vérités fondamentales de la doctrine de la justification, qui était au centre de la Réforme du XVIe siècle ». (…)
Dans le discours qu’il a prononcé à Lund, le pape a en effet ramené les désaccords doctrinaux au niveau de malentendus linguistiques, lorsqu’il a déclaré que, en substance, la division a été provoquée par de simples fermetures « dues à la crainte ou à des préjugés à propos de la foi que les croyants d’autres confessions professent avec un accent et un langage différents ».
Sacrements
En ce qui concerne les sacrements, le point crucial de désaccord concerne l'eucharistie et en particulier la possibilité - ou non – pour les Catholiques et les Protestants de recevoir la communion ensemble, au cours de la même cérémonie.
Il y a un an, à l’occasion d’une visite au temple luthérien de Rome, le pape avait été interrogé par une protestante mariée à un catholique qui lui demandait si elle pouvait recevoir la communion pendant la messe (le 15 novembre 2015. Voir DICI n°325 du 20/11/15) François lui avait répondu par une succession rapide de « oui, non, je ne sais pas, décidez vous-même », qui, en tout cas, avait donné à tout le monde l’impression qu’il « ouvrait les portes » à l’intercommunion. (…)
(Certes), à Lund, la solennelle déclaration conjointe des Luthériens et des Catholiques n’a indiqué aucun pas en avant en ce qui concerne ce point spécifique. Cependant elle a formulé avec force un souhait : « Beaucoup de membres de nos communautés aspirent à recevoir l’Eucharistie à une même table, comme expression concrète de la pleine unité. Nous faisons l’expérience de la souffrance de ceux qui partagent leur vie tout entière, mais ne peuvent pas partager la présence rédemptrice de Dieu à la table eucharistique. Nous reconnaissons notre responsabilité pastorale commune pour répondre à la soif et à la faim spirituelles de nos fidèles d’être un dans le Christ. Nous désirons ardemment que cette blessure dans le Corps du Christ soit guérie. C’est l’objectif de nos efforts œcuméniques, que nous voulons faire progresser, y compris en renouvelant notre engagement pour le dialogue théologique ».
C’est le même désir que François avait exprimé de manière très efficace dans la réponse, apparemment incohérente, mais en réalité tout à fait calculée, qu’il avait donnée au temple luthérien de Rome.
Mission
Enfin, à Lund, le pape François n’a rien ajouté, en ce qui concerne la mission évangélisatrice de l’Eglise, à ce qu’il a déjà dit et redit des dizaines de fois, la dernière remontant à quelques jours avant son voyage, à l’occasion d’un entretien qu’il a accordé (le 28 octobre. NDLR) au jésuite suédois Ulf Jonsson pour La Civiltà Cattolica : « Il y a un critère qui devrait être très clair dans notre esprit en toutes circonstances : faire du prosélytisme dans le domaine ecclésial, c’est un péché. Benoît XVI nous a dit que l’Eglise ne grandit pas par le prosélytisme, mais par attraction. Le prosélytisme est un comportement coupable ».
De même, le 13 octobre, s’adressant à un groupe nombreux de Luthériens venus en pèlerinage à Rome, François a fait la déclaration suivante : « Le prosélytisme est le poison le plus violent qui puisse attaquer la démarche œcuménique ».
Et il a réaffirmé la même idée, toujours cette année, en s’adressant aux chrétiens orthodoxes à Tbilissi, en Géorgie, le 1er octobre : « Il existe un gros péché contre l'œcuménisme : le prosélytisme. Il ne faut jamais faire de prosélytisme envers les Orthodoxes ».
Et à Cuba, le 12 février, dans la déclaration qu’il a faite conjointement avec Cyrille, le patriarche de Moscou : « La mission de prêcher l’Evangile de Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui… comporte le respect réciproque envers les membres des communautés chrétiennes et elle exclut toute forme de prosélytisme ».
Dans ce dernier cas, François avait précisé ce qu’il entendait par prosélytisme : « L’utilisation de moyens déloyaux pour inciter les croyants à passer d’une Eglise à une autre, en niant leur liberté religieuse ou leurs traditions ».
Toutefois le pape Bergoglio n’a presque jamais été aussi attentif à définir la signification et l’ampleur de sa condamnation du prosélytisme.
Dans la majorité des cas, cette condamnation qu’il formule ne se limite pas à exclure la conversion des Protestants et des Orthodoxes à la foi catholique, mais elle semble s’étendre à l’intention de faire des disciples et de baptiser tous les peuples.
Le 7 août 2013, s’en prenant pour la première fois au prosélytisme en tant que pape, il avait déclaré, dans un message vidéo adressé aux Argentins à l’occasion de la fête de saint Gaétan de Thiène : « Est-ce que tu vas convaincre quelqu’un de se faire catholique ? Non, non, non ! Va le rencontrer, il est ton frère. Et cela suffit ».
Le 1er octobre, à l’occasion d’un entretien avec Eugenio Scalfari, fondateur du quotidien "La Repubblica" et un représentant de premier plan du courant de pensée laïciste, le pape s’était montré encore plus péremptoire, si la transcription de ses propos par Scalfari est fidèle : « Le prosélytisme est une solennelle sottise, il n’a pas de sens ». (…)
Et Sandro Magister de rappeler en conclusion :
C’est un fait que, encore aujourd’hui, la chute de l’esprit missionnaire continue à être l’un des principaux facteurs de crise auxquels l’Eglise est confrontée. Et pourtant le pape François continue à attaquer ce qui en est le contraire, c’est-à-dire qu’il se bat contre l’expansion présumée du prosélytisme, bien qu’aucune enquête sociologique n’ait relevé de traces de celle-ci.
Et, afin de faire échec au « poison » qu’est ce péché, il insiste pour que l’annonce, l’évangélisation, la mission, soient réduites à un témoignage muet, parce que, au fond, a-t-il déclaré, « nous sommes tous enfants de Dieu », — cela dès à présent, même les gens qui sont musulmans, bouddhistes, hindouistes, agnostiques, ou athées.
C’est là l’une des plus inexplicables contradictions du pontificat de François. Mais elle figure également parmi les clés de son succès (aux yeux du monde et des médias. NDLR). Y compris à Lund.
Le 2 novembre, l’abbé Christian Bouchacourt, Supérieur du district de France, faisait paraître un communiqué sur cette Déclaration conjointe du pape et des Luthériens, où il déclarait :
Comment pouvons-nous être « reconnaissants pour les dons spirituels et théologiques reçus à travers la Réforme », alors que Luther a manifesté une haine diabolique envers le Souverain Pontife, un mépris blasphématoire envers le saint sacrifice de la messe, ainsi qu’un refus de la grâce salvatrice de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Il a aussi détruit la doctrine eucharistique en refusant la transsubstantiation, détourné les âmes de la très Sainte Vierge Marie et nié l’existence du Purgatoire. (…)
Nous invitons les fidèles du district de France à prier et à faire pénitence pour le Souverain Pontife afin que Notre Seigneur, dont il est le Vicaire, le préserve de l’erreur et le garde dans la vérité dont il est le gardien.
(Sources : vatican/apic/imedia/LPL/chiesa - trad. Antoine de Guitaut – DICI n°344 du 11/11/16)