Le voyage du pape au Maroc, les 30 et 31 mars 2019
Avant de se rendre les 30 et 31 mars au Maroc, le pape François a adressé un message vidéo aux Marocains, le 28 mars : « Je viens sur les traces de mon saint prédécesseur Jean-Paul II comme un pèlerin de paix et de fraternité, dans un monde qui en a tellement besoin ». Et d’affirmer, dans la droite ligne du dialogue interreligieux promu par Vatican II, que « chrétiens et musulmans, nous croyons en Dieu créateur et miséricordieux », pour ajouter en conclusion que ce voyage sera « la précieuse occasion de visiter la communauté chrétienne présente au Maroc et d’encourager son cheminement ». Selon les statistiques publiées par le Saint-Siège le 28 mars, 4 évêques, 46 prêtres et 23.000 fidèles la composent.
François annonçait également sa rencontre avec des migrants, qui sont un « appel à construire ensemble un monde plus juste et plus solidaire ». Selon l’édition 2018 du rapport sur La liberté religieuse dans le monde, publié par l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), plus de 99% de la population marocaine est musulmane. Moins de 1% des habitants sont d’une autre confession, juifs compris.
Le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat du Saint-Siège, expliquait le 29 mars que la première attente du souverain pontife dans ce voyage « lui est très chère, c’est celle de la “culture de la rencontre” ». La seconde correspond au thème de ce voyage, “serviteurs de l’espérance” : « Il me semble que le pape souhaite vraiment nous donner une grande espérance, autrement dit qu’il est possible de marcher sur la voie de la rencontre réciproque. Et ces voyages qui se succèdent dans des pays qui ne sont pas de tradition catholique ont justement cette signification ». Le but commun de ces voyages en terre musulmane serait, précise le cardinal Parolin, « le concept de fraternité, comme par exemple dans le document que le Saint-Père a signé à Abou Dabi ». Rappelant « le fait que nous sommes créatures et enfants d’un même Père et que nous devons donc nous reconnaître tous frères », le cardinal souligne que « la fraternité est le fil rouge qui relie tous ces voyages ». – Voir le communiqué du Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X sur le document d’Abou Dabi.
Rencontre avec la population, les autorités civiles et diplomatiques
Peu après son arrivée en début d’après-midi, le souverain pontife s’est adressé au peuple marocain, aux autorités, aux représentants de la société civile et au corps diplomatique rassemblés sur l’esplanade de la tour Hassan, à Rabat. Prônant l’union des forces pour la construction d’un monde plus solidaire, le Saint-Père a redit l’urgence de développer et promouvoir inlassablement une « culture du dialogue » indispensable pour opposer au fanatisme et au fondamentalisme la solidarité de tous les croyants, a-t-il précisé.
Ce dialogue authentique doit également tenir compte « du monde dans lequel nous vivons, notre maison commune », a ajouté le pape, appelant à une « conversion écologique » pour un développement humain intégral. (…) « C’est ensemble, dans un dialogue patient et prudent, franc et sincère, que nous pouvons espérer trouver des solutions adéquates, pour inverser la courbe du réchauffement global et pour réussir à éradiquer la pauvreté ».
Le souverain pontife a également parlé de la crise migratoire et du Pacte mondial de l’ONU sur les migrations, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies réunie à Marrakech le 19 décembre 2018. « J’espère que le Maroc, qui avec une grande disponibilité et une délicate hospitalité a accueilli cette Conférence, voudra continuer à être, dans la communauté internationale, un exemple d’humanité pour les migrants et les réfugiés, afin qu’ils puissent être, ici, comme ailleurs, accueillis avec humanité et protégés, qu’on puisse promouvoir leur situation et qu’ils soient intégrés avec dignité ».
Appel commun pour Jérusalem, qui a vocation pour la paix
Le pape et le roi Mohammed VI ont eu un entretien privé à Rabat, au terme duquel a été rendu public un appel commun pour Jérusalem, le 30 mars 2019. « Reconnaissant l’unicité et la sacralité de Jérusalem et ayant à cœur sa signification spirituelle et sa vocation particulière de Ville de la Paix », ils pensent « important de préserver la Ville sainte de Jérusalem / Al Qods Acharif comme patrimoine commun de l’humanité et, par-dessus tout pour les fidèles des trois religions monothéistes, comme lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique, où se cultivent le respect réciproque et le dialogue ».
Enfin, ils souhaitent « que dans la Ville sainte soient pleinement garantis la pleine liberté d’accès aux fidèles des trois religions monothéistes et le droit de chacune d’y exercer son propre culte, de sorte qu’à Jérusalem / Al Qods Acharif s’élève, de la part de leurs fidèles, la prière à Dieu, Créateur de tous, pour un avenir de paix et de fraternité sur la terre ».
Le Saint-Père s’est ensuite rendu à l’institut Mohammed VI de formation pour les imams, prédicateurs et prédicatrices, avant de conclure sa journée avec les migrants accueillis par la Caritas diocésaine de Rabat.
Rencontre avec les migrants
François a visité en fin de journée un centre de la Caritas diocésaine de Rabat dans lequel sont accueillis de nombreux migrants d’Afrique subsaharienne. Rappelant les mots d’ordre : « accueillir, protéger, promouvoir et intégrer », le pape a donné le sens qu’il y voit.
« En considérant la situation actuelle, accueillir signifie avant tout offrir aux migrants et aux réfugiés de plus grandes possibilités d’entrée sûre et légale dans les pays de destination ». L’élargissement des canaux migratoires réguliers est de fait un des objectifs principaux du Pacte mondial. Protéger veut dire assurer la défense « des droits et de la dignité des migrants ainsi que des réfugiés, indépendamment de leur statut migratoire », à commencer par la protection. Promouvoir signifie assurer à tous, migrants et autochtones, la possibilité de trouver un milieu sûr où se réaliser intégralement. Intégrer veut dire s’engager dans un processus qui valorise à la fois le patrimoine culturel de la communauté qui accueille et celui des migrants, construisant ainsi une société interculturelle et ouverte. – A ce sujet, voir le dossier : Le pape et les migrants, dans Nouvelles de Chrétienté n°169 (janvier-février 2018).
Avec les prêtres, les religieux, et les membres du Conseil œcuménique des Eglises
Dimanche 31 mars, dans la cathédrale de Rabat, entièrement repeinte pour l’occasion, le pape a retrouvé les prêtres, les religieux et religieuses, ainsi que les membres du Conseil œcuménique des Eglises qui réunit quatre communautés religieuses présentes au Maroc (anglicane, évangélique, grecque-orthodoxe et russe-orthodoxe) ; étaient également présents plusieurs évêques de la CERNA (Conférence des évêques de la région Nord de l’Afrique). « Notre mission de baptisés, de prêtres, de consacrés, n’est pas déterminée particulièrement par le nombre (…) mais par la manière dont nous vivons comme disciples de Jésus. (…) Autrement dit, les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme. S’il vous plaît, ils ne passent pas par le prosélytisme ! Rappelons-nous Benoît XVI : “L’Eglise ne s’accroît pas par prosélytisme, mais par attraction, par le témoignage” », a-t-il déclaré.
Citant Paul VI dans son Encyclique Ecclesiam suam : « L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se fait conversation » (n.67), François s’est défendu de céder à une mode ou une stratégie. C’est parce que, « comme disciples de Jésus-Christ, nous sommes appelés, depuis le jour de notre baptême, à faire partie de ce dialogue de salut et d’amitié, dont nous sommes les premiers bénéficiaires ». Ce dialogue, poursuit le souverain pontife, devient prière que nous pouvons réaliser tous les jours au nom « de la “fraternité humaine” qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux (Document sur la fraternité humaine, Abou Dabi, 4 février 2019). Une prière qui se fait l’écho de la vie du prochain ; prière d’intercession qui est capable de dire au Père : Que ton Règne vienne ». – Et comme à Assise, on prétend de façon sophistique ne pas prier ensemble, mais être ensemble pour prier.
Messe dominicale au stade Prince Moulay Abdellah de Rabat
Au terme de son voyage, dimanche 31 mars, le pape a célébré la messe au stade Prince Moulay Abdellah de Rabat, devant plus de 10.000 personnes. Surplombant l’autel : une reproduction de la croix du monastère de Tibhirine.
François a centré son homélie sur la parabole du Fils prodigue (Lc 15, 1-3 ;11-32), et plus particulièrement sur la figure du fils aîné, qui récrimine contre son père pour l’accueil festif réservé à son frère, de retour après avoir mené une vie dissolue. Le père, rappelle le souverain pontife, dit à son fils aîné : Tout ce qui est à moi est à toi (Lc 15, 31). « Et il ne se réfère pas seulement aux biens matériels mais au fait de participer aussi à son amour même et à sa propre compassion. (…) Ne tombons pas dans la tentation de réduire notre appartenance de fils à une question de lois et d’interdictions, de devoirs et de conformités. Notre appartenance et notre mission ne naîtront pas de volontarismes, de légalismes, de relativismes ou d’intégrismes mais de personnes croyantes qui supplieront tous les jours, avec humilité et constance : que ton Règne vienne sur nous ».
Pour François, c’est en levant les yeux vers le Ciel et en disant Notre Père, que nous pourrons « prendre le risque de vivre comme des frères ». Le père de la parabole enjoint à son aîné de participer à sa joie, à son amour, à sa compassion, « l’héritage et la richesse les plus grands du christianisme ». – Cette exégèse œcuménico-interreligieuse de la parabole du fils prodigue est un thème récurrent de la prédication de François.
Répondant aux questions des journalistes du vol papal à son retour du Maroc, François évoque le dialogue avec les musulmans et la déclaration sur Jérusalem comme un pas en avant fait par des frères. Sur les migrants, il en appelle à la générosité de l’Europe.
Sur les relations avec l’islam, le pape déclare qu’il faudra poursuivre inlassablement le dialogue car, reconnaît-il, il y aura certainement des obstacles sur le parcours. « Dans chaque religion, il y a toujours un groupe intégriste qui ne veut pas aller de l’avant et qui vit de souvenirs amers, de luttes passées et qui cherche plutôt la guerre et sème la peur. (…) Au contraire, ceux qui construisent des ponts pourront aller de l’avant. (…) Le pont est pour la communication humaine. »
Jugement sur ce voyage et sur les autres...
A l’occasion de ce voyage à visée interreligieuse du pape au Maroc, on peut se reporter au communiqué du Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, du 24 février 2019. Il a été publié à la suite du Document sur la Fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune que le pape François a signé avec le Grand Imam de la mosquée du Caire, le 4 février 2019 (DICI n°382, mars 2019) :
« Par le fait de l’Incarnation, le Christ est devenu le grand Prêtre de la nouvelle et unique alliance et le Docteur qui nous annonce la vérité ; il est devenu le Roi des cœurs et des sociétés et “le premier-né d’un grand nombre de frères” (Rm 8, 29). Ainsi, la vraie fraternité n’existe qu’en Jésus-Christ, et en lui seul : “car il n’y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés” (Ac 4, 12).
« C’est une vérité de foi que le Christ est Roi de tous les hommes, et qu’il veut les réunir dans son Eglise, son unique Epouse, son seul Corps mystique. Le royaume qu’il instaure est un règne de vérité et de grâce, de sainteté, de justice et de charité, et en conséquence pacifique. Il ne peut y avoir de vraie paix hors de Notre Seigneur. Il est donc impossible de trouver la paix en dehors du règne du Christ et de la religion qu’il a fondée. Oublier cette vérité, c’est bâtir sur du sable, et le Christ lui-même nous avertit qu’une telle entreprise est destinée à périr (cf. Mt 7, 26-27). »
Ajoutons que lors de l’Angelus qui a suivi ce voyage au Maroc, le pape, sortant de son texte, a déclaré : « Pourquoi y a-t-il tant de religions et comment y a-t-il autant de religions ? (…) Pourquoi Dieu autorise-t-il tant de religions ? Dieu a voulu permettre cela : les théologiens scolastiques ont fait référence à la voluntas permissiva de Dieu. Il a voulu permettre cette réalité ».
Cette incise, utilisant un vocabulaire théologique, voudrait répondre à l’objection faite au Document sur la fraternité humaine, où il était spécialement déclaré que « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains ». Le communiqué du Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X publié à cette occasion, dénonce cette expression.
L’explication par la « volonté permissive » de Dieu est inadéquate. En effet, ce terme est utilisé par les théologiens pour désigner le rapport de Dieu au mal, car Dieu ne veut jamais le mal, il ne veut que le bien. Alors, comment expliquer que le mal puisse se produire ? Précisément parce que Dieu veut le permettre, en vue d’un plus grand bien. Ainsi, dire que les religions font partie de la volonté permissive, équivaut à dire qu’elles sont mauvaises en soi. Très bien, mais n’y a-t-il pas tromperie vis-à-vis du Grand Imam, et de tous ceux qui ont connaissance de tels propos ?
De plus, peut-on dire que la diversité de couleur, de sexe, de race et de langue est un mal permis par Dieu en vue d’un plus grand bien ? Certes non. Il faut donc conclure soit que les religions sont un bien au même titre que ces caractéristiques humaines, soit que l’explication par la volonté permissive n’est qu’un leurre.
(Sources : cath.ch/imedia/ vaticannews/aed/fsspx.actualités – FSSPX.Actualités - 24/04/2019)