L’Eucharistie annoncée dans les psaumes (2)

Source: FSSPX Actualités

Kaysersberg, église Sainte-Croix

Maintenant que nous avons éclairci la notion de sacrifice, il est plus facile d’approcher du grand mystère de la messe. 

Le saint sacrifice de la messe

Le Psalmiste disait : « Venez offrir au Seigneur la gloire due à son nom. Prenez des victimes, (en latin tollite hostias) et entrez dans sa maison » (Ps 95, 8-9). Saint Robert Bellarmin voyait ici une invitation adressée aux nations païennes à rejoindre l’Église, et il considérait que les victimes désignaient d’après le terme hébreu des hosties non sanglantes et de pure farine. Aussi, affirmait-il qu’il « est question ici du sacrifice de la messe qui a succédé à tous les sacrifices de l’ancienne Loi » (Explication des Psaumes, Vivès, 1856, III, p. 7). 

Avant d’entrer plus avant dans le vif du sujet, il est bon de se souvenir du principe évoqué par saint Thomas d’Aquin si l’on veut célébrer la messe ou y assister avec fruit : « Le déroulement du culte divin doit être empreint de noblesse et de gravité, selon ce verset du psaume 34 : “Je vous louerai au milieu d’un peuple empreint de gravité” (Ps 34, 18) » (Somme théologique, I-II, q 102, a. 5, ad 2). 

L’autel du sacrifice 

Autrefois, les villages étaient bâtis autour de l’autel, celui-ci représentant le lieu du sacrifice. L’autel est déjà figuré dans un psaume. En effet, le jeudi, jour commémoratif de l’institution de la sainte Eucharistie, les prêtres récitent à l’office de prime le psaume 22. Il s’agit d’un poème gracieux qui dépeint le Sauveur comme le bon Pasteur. Or, il renferme ce passage où le Psalmiste dit en s’adressant au Seigneur : « Vous avez préparé devant moi une table en face de ceux qui me persécutent » (Ps 22, 5). Saint Jean Chrysostome commente : « Dans cette table se fait reconnaître l’autel où l’on consacre le Seigneur. La Sagesse a envoyé ses serviteurs pour inviter tout le monde ». Et le saint Docteur se demande : « Pourquoi a-t-elle préparé cette table pour ses serviteurs et ses servantes ? » Il répond : « C’est pour nous montrer chaque jour, dans le sacrement, le pain et le vin selon l’ordre de Melchisédech qui sont une image du corps et du sang du Christ » (Les psaumes commentés par les Pères, Desclée de Brouwer, 1983, p. 132). L’autel est dressé en face de ceux qui persécutent David, figure du prêtre.  

Ainsi, le prêtre, mais aussi les fidèles fervents, en butte aux persécutions, trouvent-ils dans le saint sacrifice de la messe le remède aux suggestions, au harcèlement du démon et du monde, ainsi qu’aux séquelles du péché originel. En célébrant la messe ou en la suivant, en recevant la sainte Eucharistie, ce qui est charnel leur est enlevé, les dons du Saint-Esprit pénètrent en eux, et ils peuvent désormais agir efficacement contre leurs adversaires, notamment contre le monde et le démon. 

La joie du prêtre à l’autel 

Le caractère sérieux et grave de la messe n’enlève pas au prêtre la joie. Chaque matin, il monte à l’autel célébrer les saints mystères. Il commence la cérémonie par ces mots tirés du psaume 42 : « J’irai à l’autel de Dieu, vers Dieu qui réjouit ma jeunesse » (Ps 42, 4). Saint Thomas d’Aquin commente : « Les prêtres disent ce psaume lorsqu’ils s’avancent vers l’autel ; car ces deux choses, c’est-à-dire la joie et la rénovation, sont nécessaires à ceux qui veulent s’approcher de l’autel céleste : « Comment aurai-je pu manger de cette hostie, ou plaire au Seigneur dans ces cérémonies, avec un esprit plein d’affliction ? (Lv 10, 19) » (Commentaire sur les psaumes, Cerf, 1996, p. 548). C’est en effet une grande joie pour le prêtre de monter à l’autel offrir le saint sacrifice. Le Psalmiste ne disait-il pas : « J’ai entouré l’autel et j’ai immolé dans son tabernacle une victime avec des cris de joie » (Ps 26, 6). 

La messe étant la source de toutes les grâces déversées en abondance par le bon Dieu sur les âmes du monde entier, le prêtre ne peut que la célébrer avec bonheur. 

La partie sacrificielle de la messe 

Après la première partie de la messe qui est essentiellement une purification et un enseignement, on arrive à la partie sacrificielle qui se divise en trois : l’offertoire, la consécration et la communion.  

L’offertoire 

À l’offertoire, c’est le moment de s’immoler en union avec la divine Victime qui va descendre sur l’autel. Commentant le verset du psaume 4 : « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur » (Ps 4, 6), Cassiodore expliquait que les baptisés élevés par la grâce à l’ordre surnaturel ne sacrifient plus à Dieu des animaux comme dans l’ancien Testament, mais s’offrent eux-mêmes à Dieu en sacrifice, « car, dit-il, c’est une chose de présenter au Seigneur une victime animale, une autre pour un homme religieux d’offrir son cœur. Si le Christ en personne a été immolé pour nous, combien plus convient-il de nous offrir nous-mêmes à lui en sacrifice : quelle joie de pouvoir imiter notre Roi ! » (Les psaumes commentés par les Pères, Desclée de Brouwer, 1983, p. 80). 

L’auteur de L’Imitation de Jésus-Christ l’exprime parfaitement en mettant ces paroles sur les lèvres du divin Maître : « Comme je me suis offert volontairement pour vos péchés à mon Père, les bras étendus sur la croix, et le corps nu, ne réservant rien et m’immolant tout entier, pour apaiser Dieu : ainsi vous devez tous les jours, dans le sacrifice de la messe, vous offrir à moi, comme une hostie pure et sainte, du plus profond de votre cœur, et de toutes les puissances de votre âme. […] Offrez-vous à moi, donnez-vous à Dieu tout entier, et votre oblation me sera agréable » (Livre  IV, ch. 8). 

La consécration 

Au moment de la consécration, le prêtre dit : « Ceci est mon corps ». « Ceci est le calice de mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, mystère de la foi, qui sera répandu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés… » En prononçant ces paroles, il change le pain dans le corps de Jésus-Christ et le vin en son sang. Pour opérer une telle transformation, il agit dans la personne du Christ. Émerveillé par ce mystère, Mgr Lefebvre disait : « Ce qui se produit au moment de la consécration, c’est vraiment le sommet du monde, le sommet de toute l’Église, le sommet de l’Histoire » (Retraite, Le Barroux, août 1985). 

« La conversion de la substance du pain en la substance du corps du Christ est instantanée » (Somme théologique, III, q. 75, a. 7). Elle s’opère d’un seul coup. Pour illustrer l’aspect subit de ce changement, Bourdaloue établit un parallèle avec la création de l’univers. Dans le psaume 32, le Psalmiste fait l’éloge de la création, et il montre la facilité avec laquelle le bon Dieu a tout créé en affirmant : « Il a dit et tout a été fait ; il a commandé et tout a été créé » (Ps 32, 9). Pour Dieu, dire et faire, c’est une seule et même chose. Bourdaloue partant de là fait l’application au mystère de la transsubstantiation. À l’autel, « le prêtre parle, il prononce, il dit : et tout à coup que de miracles ! Il dit, et dans l’instant, toute la substance du pain, toute celle du vin, est détruite : de sorte que sous la même figure, les mêmes dehors, et sans que rien de nouveau paraisse, ce n’est plus du pain ni du vin, mais Jésus-Christ en substance avec tout son corps, tout son sang, tout son être, et comme Dieu et comme homme » (Bourdaloue, Œuvres complètes, L. Guérin, 1864, II, p. 521). 

En prononçant les paroles de la consécration, le prêtre affirme que le sang du calice est « le sang de l’alliance nouvelle et éternelle ». C’est à cette alliance que faisait allusion le Psalmiste lorsqu’il disait : « Le Seigneur a envoyé un Rédempteur à son peuple ; il a conclu avec lui une alliance éternelle » (Ps 110, 9). C’est l’interprétation de saint Robert Bellarmin : « Après avoir chanté les bienfaits de Dieu envers les pères de l’ancien Testament, le Prophète passe à un bienfait bien autrement excellent et précieux, celui du Testament nouveau qui renferme la rédemption véritable et éternelle. Le Christ, avec le prix de son sang, a racheté son peuple de la captivité et de la servitude du péché, ainsi que de la puissance des ténèbres. C’est donc vraiment et à la lettre que le Psalmiste a pu dire : “Il a conclu avec lui une alliance éternelle” » (Explication des Psaumes, Vivès, 1856, III, p. 201). 

On parle de nouvelle alliance pour la distinguer de l’ancienne qui a eu lieu au temps de Moïse. Celui-ci avait répandu le sang des victimes sur le peuple lorsqu’au nom de Dieu, il avait ratifié l’alliance avec lui. (Ex 24). L’alliance avec Dieu est une alliance d’amour, mais cette alliance, aussi bien la nouvelle que l’ancienne, fut scellée dans le sang pour nous faire comprendre qu’il n’y a pas ici-bas d’amour vrai sans souffrance, sans renoncement, sans sacrifice. 

La communion au corps de Jésus 

La dernière partie de la messe correspond à la communion. Après avoir demandé à l’Agneau de Dieu d’avoir pitié de lui et prononcé trois prières manifestant son indignité ainsi que son désir de s’unir à la divine Victime, le prêtre dit en s’adressant à Dieu : « Je prendrai le pain céleste ; et j’invoquerai le nom du Seigneur ». Cette prière reprend les paroles du Psalmiste : « Je vous sacrifierai une hostie de louanges, et j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps 115, 17). « Ces paroles, dit le père Lebrun, conviennent à une âme qui sent le besoin qu’elle a de Jésus-Christ, à une âme affamée du pain céleste, qui se trouve comblée de joie à la vue de cette divine nourriture. La faim spirituelle doit précéder la nourriture céleste, comme l’on voit que Dieu fit sentir la faim dans le désert avant que de faire tomber la manne, ainsi que le dit Moïse dans une vive exhortation qu’il fit au peuple (Dt 8, 3) » (Explication des prières et cérémonies de la messe, Gauthier, 1828, p. 488). 

La communion au précieux sang 

Après avoir communié au corps de Notre-Seigneur, le prêtre prononce les paroles du psaume 115 : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits ? Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps 115, 13). Bourdaloue commente : « L’âme pieuse ne demeure pas longtemps incertaine ; elle a devant elle une ressource prompte et la plus abondante : c’est la précieuse victime immolée sur l’autel. Elle prend le calice du salut, et pleine de confiance en le présentant, elle se croit quitte de tout du côté de la reconnaissance. De quels sentiments, au reste, accompagne-t-elle cette offrande, de quelle gratitude et de quel zèle pour la gloire d’un Dieu si libéral envers elle et si bon ? » (Œuvres complètes, L. Guérin, 1864, II, p. 528). 

Le calice du salut, en dehors du précieux sang qu’il renferme, désigne encore d’après saint Robert Bellarmin les épreuves de la vie que nous devons accepter en reconnaissance des bienfaits que nous recevons de Dieu. « Je boirai sans murmure le calice du Seigneur, si amer qu’il soit, dussé-je endurer les tribulations, les périls et la mort même, pour l’honneur de mon Dieu. Car je sais que l’amertume de ce calice est salutaire. Je n’ai pas, il est vrai, confiance dans mes propres forces, mais je puis tout avec l’aide du Seigneur, et aussi, j’invoquerai le nom du Seigneur, afin qu’il me donne la force de boire avec intrépidité son calice » (Explication des Psaumes, Vivès, 1856, III, p. 237). Ainsi, le calice désigne à la fois le précieux sang de Notre-Seigneur et les épreuves de la vie dont il est la figure. 

Voici en guise de conclusion de l’étude de l’Eucharistie vue comme sacrifice une belle exhortation de Mgr Lefebvre : « Nous devons nous retirer du saint sacrifice de la messe avec la conscience que nous nous sommes unis à celui qui est tout, nous qui ne sommes rien ! Et nous devons retirer de notre contact avec Notre Seigneur Jésus-Christ le sentiment que nous avons vécu des heures du Ciel, des heures du Paradis. Combien nous devons être remplis d’humilité, remplis d’esprit d’adoration, devant celui qui est notre tout ! » (Homélie, diaconat et ordres mineurs, 3 avril 1976). 

Abbé Patrick Troadec

A suivre