YouTube: un nouveau magistère ?

Abbé Christophe Legrier

 

L'internet est très ambigu. D'une part, il peut être utilisé à bon escient. L'internet nous fournit des informations utiles. Nous pouvons l'utiliser pour des travaux importants. Il peut même être utilisé pour amener les gens à la vérité. D'autre part, l'internet nous met en contact avec un véritable déluge de mensonges et d'impuretés qui peuvent mettre nos âmes en danger. C'est un lieu où les méchants peuvent répandre toute sorte de mal pour corrompre l'esprit et la morale des innocents. Ces deux faits nous placent devant un dilemme : soit nous évitons l'internet, nous protégeons nos âmes, mais nous passons à côté du bien qui peut en découler. Ou bien nous l'utilisons pour le bien, mais nous risquons d'être pris dans un tourbillon de fausses informations qui obscurciront notre jugement et affecteront notre moralité.


Comment comprendre cette situation ?


Commençons par résoudre la première partie du dilemme. Il serait imprudent de prétendre que c'est un devoir moral pour tout catholique d'éviter Internet. Les moines les plus traditionnels, reclus dans le silence de leur monastère, utilisent Internet ou demandent à leurs fidèles de l'utiliser pour leur travail religieux. Cependant, il peut arriver que, pour telle ou telle personne, il soit moralement nécessaire de ne pas utiliser l'internet. Par exemple, il faut empêcher les enfants de surfer sur le web, sauf dans le cadre de restrictions très strictes, en raison de leur jeune âge et des grands dangers moraux qu'ils peuvent rencontrer sur le web. On ne confierait pas une arme à un enfant en raison de l'insouciance de son jeune âge. Les parents et les éducateurs laxistes devront rendre compte à Dieu des dommages effroyables et peut-être permanents qu'Internet a causés à leurs enfants. 


En ce qui concerne la deuxième partie du dilemme, il n'est pas acquis que l'internet nous détruira. Le principal danger auquel nous sommes confrontés lorsque nous sommes sur l'internet est la curiosité, un péché opposé à l'étude. Il s'agit d'une recherche démesurée de la vérité. Saint Thomas d'Aquin présente quatre façons par lesquelles notre désir d’apprendre et de connaître peut devenir un péché de curiosité : 


"Premièrement, un homme pèche par curiosité lorsqu'il se détourne, par une étude moins profitable, d'une étude qui est une obligation pour lui." Quel type d'étude pourrait être obligatoire pour nous ? Pour prendre l'exemple de notre vie spirituelle, notre foi a besoin d'être nourrie par des études quotidiennes : Écriture Sainte, lecture spirituelle, vie des saints, explications de la Foi, histoire de l'Église, étude de la Crise de l'Église (pas tout à la fois, bien sûr !). Nous pouvons donc comparer le temps que nous consacrons à l'étude de ces sujets au temps que nous passons sur Internet et nous poser la question : Ai-je été "soustrait par une étude moins profitable à une étude qui est une obligation qui m'incombe" ? ... Pour simplifier, lire un crime quelque part dans le monde est très attrayant pour notre appétit de nouveauté, mais peu utile pour l'âme et l'accomplissement de notre devoir d'état. Au contraire, la lecture d'un chapitre de l'Évangile est plus austère mais combien plus profitable à la croissance de notre vie spirituelle ! 


"Deuxièmement, il commet un péché lorsqu'il apprend de quelqu'un par qui il est interdit d'être enseigné, comme c'est le cas de ceux qui cherchent à connaître l'avenir par l'intermédiaire des démons." Il est interdit d'être enseigné par le démon parce qu'il n'est pas en état de nous enseigner correctement (bien qu'il soit la plus intelligente des créatures). Les internautes ne sont pas le diable. Cela signifie-t-il pour autant qu'ils sont tous qualifiés pour nous enseigner ? Celui-ci prophétise la fin du monde. Celui-là essaie de nous convaincre qu'il a eu une vision du ciel. Un autre expose sa connaissance de telle ou telle situation, produisant, avec beaucoup de sérieux, une pléthore de détails qu'il a reçus d'un autre loquace (quand il ne s'agit pas simplement de son imagination). Loin de là ! 


"Troisièmement, l'homme pèche par curiosité lorsqu'il désire connaître la vérité sur les créatures, sans référer sa connaissance à la fin qui lui est due, à savoir la connaissance de Dieu". Toute connaissance doit être recherchée pour la gloire de Dieu. Est-ce notre intention lorsque nous surfons sur le web ? Un indice subjectif mais très sérieux de cela est notre état d'esprit. Ces recherches nous ont-elles apporté la paix intérieure, une meilleure connaissance de Dieu, la joie spirituelle, l'accroissement de notre Foi, de notre Espérance et de notre Charité ? Si oui, c'est bon signe. Au contraire, ont-elles apporté de l'agitation, de la colère, de l'amertume, du désespoir, de la haine, de l'impatience ? Entraînent-elles des distractions pendant nos prières ou nos tâches quotidiennes ? C'est un signe fort que nous avons été enseignés par un magistère pervers ! 


"Quatrièmement, on pèche par curiosité lorsqu'on cherche à connaître la vérité au-delà de la capacité de sa propre intelligence, car en agissant ainsi, on tombe facilement dans l'erreur". Il est bon de se rappeler que nous ne pouvons pas tout savoir ou juger, et que nous pouvons "facilement tomber dans l'erreur". Le nouveau tribunal moderne, appelé "les médias", juge de tout en étant à la fois magistrats instructeurs, procureurs, avocats, juristes, juges de toutes les instances, et spécialistes de toutes les matières. Largement répandus sur le web, ils sont concurrencés par une multitude de " youtubeurs " qui parlent de tout sur un ton magistral. Cependant, beaucoup d'entre eux étudient (si l'on peut appeler cela "étudier"...) des sujets "au-dessus de la capacité" de leur propre intelligence. YouTube ne peut pas être notre Magistère. 
 

Faut-il donc chercher sur internet ? Oui, mais vérifions les critères ci-dessus, sans nous mentir à nous-mêmes. Lorsque nous sommes sur Internet, c'est comme si nous étions dans une immense bibliothèque où les bons livres côtoient les livres pervers ou tout simplement inintéressants. On peut en faire bon usage ou perdre son temps, voire son âme. Notre effort de sainteté doit donc passer par un examen approfondi de notre activité sur Internet pour voir si elle contribue ou non à notre salut.